Bonjour tout le monde, à cet endroit très précis où vous pouvez voir ce camion tourner, s’est déroulé un drame il y a quelques jours. Une cycliste, Sophiane, âgée de 32 ans, a perdu la vie sous les roues d’un camion.
Certains médias ont relayé cet accident comme un simple fait divers, et ce que je regrette, c’est qu’aucun n’ait pris le temps d’enquêter un minimum sur les lieux pour essayer de mieux comprendre les circonstances de ce drame. C’est ce que j’ai pris le temps de faire avec ce sujet, et ce que j’ai pu découvrir va au-delà d’un simple accident entre usagers. vous aller voir que l’aménagement a joué un rôle capital dans cette situation.
PLACE DU CANADA
Pour revenir sur les lieux, nous nous trouvons sur la Place du Canada dans le 8ème arrondissement, à quelques pas des Champs-Élysées et de la Concorde, c’est de là que venait le conducteur du camion avant de s’engager sur le Cours de la Reine. Il a ensuite tourné sur l’Avenue Franklin Roosevelt, et c’est là que la cycliste a été renversée.
La première chose qui m’a choqué en me rendant sur place, c’est que cette bande cyclable, d’où venait la cycliste, s’arrête net en arrivant dans l’intersection.
LE SAS VÉLO
Il y a plusieurs éléments intéressants ici : la présence d’un sas vélo, même s’il est peu visible en raison des pavées ou la peinture tient mal.
Ce sas vélo a normalement pour rôle de limiter le risque qu’un cycliste ou un piéton qui traverse, se retrouve dans l’angle mort d’un chauffeur de camion. Enfin, je dis normalement car cela dépend de la taille de ce sas et du placement des usagers.
Si le sas fait moins de 5 mètres comme ici et qu’un usager se positionne pour attendre au feu sur le côté droit, il a de fortes chances de devenir invisible pour le chauffeur du camion.
C’est ce que j’ai découvert avec stupeur en vérifiant les angles morts du camion par rapport à ce sas vélo avec ce schéma. Je vous conseillerai donc de vous arrêter bien au milieu du sas vélo jamais sur un côté , même si vous allez à droite ou à gauche, chose que je ferai systématiquement dès à présent, oui je continue à apprendre des choses…
LE M12
Un autre point à noter à cet endroit est que le feu n’est pas équipé de M12, ce qui aurait permis aux cyclistes de s’échapper de cet angle mort pour continuer à droite. Car de manière contre-intuitive, passer au rouge ici est moins dangereux que de patienter dans l’angle mort.
D’après une enquête de Libération, les femmes, respectent davantage le code de la route, se retrouvent plus exposées et surreprésentées dans ce type d’accidents tragiques, car le cycliste et le chauffeur démarrent en même temps au feu vert et leurs routes se croisent simultanément.
C’est également ce que j’ai pu lire dans un rapport du BEA-TT, un organisme indépendant enquêtant sur les accidents de transport où la même situation s’est produite en 2015.
Les recommandations de l’organisme ont été de rappeler « la nécessité pour les conducteurs de regarder, avant et pendant l’exécution d’une manœuvre de changement de direction, dans tous les rétroviseurs/antéviseurs utiles. »
Je souligne qu’un cycliste n’arrive pas de façon magique dans cet angle mort et que si un conducteur est dans l’attente de son feu vert et qu’il va tourner à droite, il doit contrôler ses rétroviseurs et qu’en arrivant au niveau du sas vélo, il a également pu mémoriser qu’il y avait un cycliste.
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De plus depuis le début de l’année 2024, tous les camions en circulation doivent se conformer à la réglementation européenne et être équipés de dispositifs de détection d’angles morts ainsi que d’un système automatisé de freinage d’urgence afin de limiter les risques. Malheureusement, ici, soit le système n’a pas joué son rôle, soit le véhicule n’en était pas équipé. Ce sera à l’enquête d’analyser ce point.
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https://www.youtube.com/watch?v=UFgc-DK6SLA&ab_channel=Cha%C3%AEneTruckeditions
L’aménagement :
Et dernier point, c’est ce virage. Le fait qu’il y ait une absence d’aménagement cyclable à ce carrefour est malheureusement monnaie courante à Paris. Mais c’est la présence de ce zébras qui a attiré mon attention, quelque chose de vraiment peu commun dans une intersection parisienne c’est une zone ou il est interdit de circuler et stationner .
Je suis donc allé voir sur Google Street View pour découvrir depuis combien de temps il existe, et il n’était pas encore là en mars 2023.
Il a donc été posé avec la réalisation des travaux tout récents et il est en fait là pour annoncer le rétrécissement de la chaussée dû à de nouveaux stationnements pour la police.
Oui, la bande cyclable qui était présente ici a été supprimée au profit de places de stationnement. Le panneau « aménagement cyclable recommandé » est encore là, et le marquage de la bande cyclable n’a pas encore été complètement effacé.
Surpris j’ai donc pris le temps d’appeler la voirie de Paris pour avoir plus d’informations, pour savoir où était passé cet aménagement, et on m’a confirmé que les travaux étaient terminés, que ce n’était pas temporaire, et que le marquage resterait à faire mais que pour l’aménagement, ça ne bougeait pas.
Ils ont donc réussi à rendre l’aménagement encore plus dangereux qu’auparavant en créant ce pincement au niveau de la largeur de la chaussée en ajoutant du stationnement, sans toucher à l’îlot. De nouveaux risques ont donc été ajoutés : l’ouverture de portières et l’accès et la sortie à ces stationnements, un problème inexistant auparavant.
Un nouvelle plateforme de bus a également été aménagée sur cette voie partagée mais ne résout aucun problème et obligera le le déport des cyclistes dans la voie de circulation générale en cas de stationnement, ou le risque que le bus leur coupe la route pour rejoindre l’arrêt, comme cela a pu m’arriver dans le dernier sujet que j’avais réalisé.
Selon le code de l’environnement, la ville ici est dans l’illégalité la plus totale. Car à la place de ces zèbras, un aménagement cyclable sécurisé aurait dû voir le jour, et le stationnement n’est pas non plus un obstacle à cette réalisation.
https://wiklou.org/wiki/La_LAURE
Le code de l’environnement indique clairement qu’en cas de réalisations ou de rénovations des voies urbaines, des itinéraires cyclables doivent être mis au point.
De plus, la jurisprudence a déjà tranché en indiquant que le stationnement n’est pas un obstacle pour la mise en place d’aménagements, surtout qu’ici il y a une contre-allée juste à côté et où ce parking aurait très bien pu être mis en place.
Ce point peut sembler anecdotique, mais c’est de mon point de vue, une pièce importante dans cette affaire qui n’a jusqu’à maintenant absolument pas été abordée.
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000039784686
https://twitter.com/astrobole/status/1758505619248533701
Il est donc important ici que la lumière soit faite sur la responsabilité de chacun, du chauffeur du poids lourd jusqu’à la ville, et j’espère que la justice éclairera cette affaire.
Indépendamment, je tiens à souligner que les éléments que je relève ont une vocation purement objective et ne visent pas à déterminer des responsabilités. Ce n’est pas de mon expertise, ce n’est pas de ma compétence, c’est à la justice de trancher.
https://www.securite-routiere-az.fr/b/bea-tt/
https://www.bea-tt.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_beatt_2021-03.pdf
Bon, et justement, à quoi ressemblerait cette place si elle avait été repensée et réaménagée de façon plus sécurisée?
Pour réaliser cet aménagement, je me suis basé sur les recommandations du Cerema, la documentation de Paris en Selle et du Code de la Route. La première chose que j’ai faite pour m’intéresser à cette zone a été de reconsidérer l’espace nécessaire à la circulation. Pour cela, j’ai simplement retracé la continuité des trottoirs. Cet espace minimal de circulation. Pour compléter cette observation, j’ai également pris le temps d’observer où roulaient les usagers via les caméras et à plusieurs heures de la journée.
https://www.cerema.fr/fr/actualites/8-recommandations-reussir-votre-piste-cyclable
https://parisenselle.fr/guides/guide-amenagements-cyclables-paris-en-selle/
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/texte_lc/LEGITEXT000006074228/
Une fois toutes les lignes tracées, on se rend compte de plusieurs choses : que cet espace et celui-ci peuvent être rendus aux piétons. On pourrait se dire que cet espace était indispensable à la circulation, mais plusieurs modifications analogue ont montré que cela n’impactait pas le trafic. Au contraire, cela a pu entraîner une fluidification du trafic. Toujours dans le 8ème, sur la place de la Concorde, le fait d’avoir piétonniser une partie de la place de la concorde a permis aussi de baisser le volume de trafic sur les axes de report de l’ordre de 5 à 10%, a ce propos un sujet complet arrive pour sur cette place.
Et pour revenir à notre aménagement, les 6 voies de circulation ici sont une aberration. Rien ne justifie leur conservation. Trois voies de circulation débouchent sur une voie de circulation, et ces 3 voies de circulation pour tourner à gauche débouchent sur une voie en sens unique et un boulevard à une voie de circulation.
Ce côté peut donc complètement être réorganisé de façon à mettre une voie bus et conserver deux voies de circulation : une pour tourner à gauche et une pour aller tout droit. Cela permettra notamment de limiter le risque de se faire couper la route, notamment par la droite, comme ici, ou certains usagers ne comprennent pas le principe des flèche au sol et passe au vert pour gauche pouvant créer des situation dangereuse.
Le fait de modifier l’accès à François Premier permettra également de sécuriser la traversée des piétons qui actuellement n’est protégée que par des feux, et cet espace large permet du stationnement qui cache ce même passage piéton.
Les passages piétons suite à cette organisation ont été déplacés et permettent de diminuer leur temps de cheminement. ceux qui allaient tout droit dans cette direction auront un feu de moins à patienter comparé à trois feux minimum auparavant. C’est un détail, mais simplifier les déplacements à pied permet d’encourager ce mode de déplacement. S’arrêter à chaque intersection encourage également les infractions et le risque d’accident.
Maintenant, ce qui nous intéresse, c’est de savoir comment sécuriser les itinéraires cyclables.
Au niveau de l’existant sur cette place, il existe une piste cyclable sur le trottoir côté sud, ainsi qu’une bande cyclable avec des pictogrammes vélo au niveau de l’intersection, puis une piste qui démarre de l’autre côté de l’intersection. Enfin, cette bande cyclable qui vient du pont arrive dans l’intersection puis s’arrête net sur un zèbra…
C’est d’ailleurs dans une situation similaire qu’une cycliste à une centaine de mètres d’ici a perdu la vie face de l’Assemblée nationale. On peut d’ailleurs voir un vélo blanc indiquant le lieu du drame.
Depuis cet accident tragique, cet aménagement a été complètement modifié, permettant d’améliorer la sécurité même si ce n’est pas encore idéal au vu du placement des îlots.
Il y a ici un petit loupé : ils ne sont pas en continuité de l’aménagement cyclable. C’est un élément important à garder en tête, car si cet îlot est en dehors de l’aménagement, il ne sera tout simplement pas utilisé par les cyclistes.
Voici à quoi ressemblerait cette intersection avec des aménagements cyclables sécurisés et des îlots pour protéger chaque angle au niveau de la giration des véhicules. Ce type d’aménagement devrait se retrouver sur chaque intersection dans l’urgence de façon temporaire sur les grosses intersections et la traversée des ponts, qui peuvent représenter de gros points noirs sur un itinéraire et décourager des usagers de prendre le vélo.
Il y a également la simplification des déplacements cyclistes à prendre en compte. Si l’on fait un petit tour autour de cette zone, on se rend compte que les rues ne disposent pas de double sens cyclable (tour de la place), et celles qui en disposent restent très mal indiquées au sol. Chaque voie pourrait disposer d’un aménagement cyclable sécurisé si la circulation est importante, ou simplement d’un marquage, comme je le développais dans le sujet des double sens cyclable.
Enfin, sur le cours de la Reine, côté nord, il serait intéressant d’aménager un double sens cyclable car pour accéder et quitter cette zone, il n’y a pas d’échappatoire. Il faut faire tout le tour de la maison et même si je ne suis pas fan des double sens cyclable, ce type d’aménagement aurait complètement sa place ici vu la difficulté de rejoindre l’aménagement cyclable de l’autre côté de la chaussée, séparé par une autoroute urbaine. Tant qu’à repenser cet aménagement cyclable, autant mettre des plateformes de bus déportées.
Enfin, dans le centre, il serait intéressant d’aménager une rue vélo permettant la circulation dans les deux sens et surtout mettant en place un filtre modal. Actuellement, il y a des barrières qui coupent complètement la circulation, ce qui réduit tout intérêt pour les cyclistes d’emprunter cet axe avec peu de circulation qui pourrait être sécurisé.
Cette analyse a été faite sans repenser l’ensemble du plan d’urbanisme, juste en adaptant les voies, mais il est possible d’aller beaucoup plus loin en repensant ce qui pourrait être fait à la place de cette voie express rive droite, inaugurée le 22 décembre 1967 par Georges Pompidou, quand Paris était encore concentré sur le tout-voiture. Aujourd’hui, les choses changent et il pourrait être intéressant de repenser le besoin.
Avant de terminer, je tiens à adresser à la famille et aux proches de Sofiane mes plus sincères condoléances. Personne ne devrait risquer sa vie pour un simple trajet à vélo, et cette situation me touche particulièrement. Je souhaite également exprimer ma gratitude aux associations qui ont pu suivre de près cette affaire et faire écho pour trouver des solutions, je pense notamment au Collectif “Elles à vélo”. Vous trouverez leur communiqué en description.
Je tiens également à remercier les relecteurs qui m’ont aidé à vous fournir ce sujet le plus précisément possible. Enfin, un grand merci à ceux qui soutiennent ce travail et me permettent de travailler à plein temps sur ces sujets, de prendre le temps d’enquêter et de me documenter. Je vous dis à bientôt pour une prochaine vidéo et bonne route.