Jusqu’à quand tolérera-t-on ça ?

https://www.leparisien.fr/paris-75/paris-un-cycliste-meurt-percute-par-un-camion-de-livraison-17-11-2025-SZSZNLIIT5E7HL32JYZ3FYENPY.php

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Bonjour tout le monde,
Lundi 17 novembre dans le 20ᵉ arrondissement de Paris. À quelques mètres du cimetiére Père-Lachaise, un cycliste d’une soixantaine d’années a été percuté par le conducteur d’un camion de livraison. Le conducteur tournait à droite et a emporté le cycliste à son côté. Il est mort sur place.

Je me suis alors rendu sur place pour mieux comprendre comment un tel accident est possible… et surtout : comment éviter que ça se reproduise.

1) LE CARREFOUR : UN PIÈGE PARFAIT

Le drame a eu lieu ici, dans ce carrefour dense et très fréquenté, où circulent voitures, bus, scooters, camions… et quelques cyclistes courageux, car la pente atteint 6 %.
Le conducteur du camion et le cycliste roulaient tous les deux dans le sens descendant. Arrivés à ce niveau, le conducteur a tourné à droite sur le cycliste.

Ne connaissant pas encore exactement les causes de l’accident, plusieurs scénarios sont possibles.

• Premier scénario : le cycliste démarre en même temps que le conducteur du camion.
C’est l’un des cas d’accidents les plus documentés et les plus mortels : le virage à droite avec angle mort latéral.
Il est malheureusement très difficile à éviter. Si vous sentez la présence d’un poids lourd autour de vous, essayez de vous en éloigner au maximum et évitez de rester à hauteur de sa cabine : c’est l’endroit où l’on est le moins bien vu.

À ce sujet, il faut noter que des panneaux « cédez-le-passage cycliste au feu » ont récemment été ajoutés sur trois feux de l’intersection. Ils permettent aux cyclistes de dégager plus rapidement cette zone à risque. 

Pour les conducteurs, l’approche d’un carrefour devrait toujours se faire au ralenti, afin de laisser aux usagers les plus vulnérables le temps d’anticiper leurs mouvements.

• Deuxième scénario : le cycliste remonte la file par la droite et ne voit pas que le conducteur tourne.
Ici, il y a deux voies avec une flèche tout droit, ce qui peut rendre le virage d’un véhicule difficile à anticiper pour un cycliste car il est normalement interdit de tourner sauf certaine exception i et j’y reviendrais 

L’accès à droite est assez étroit, et un changement de direction peut surprendre.

Dans tous les cas, ne dépassez jamais dans un carrefour, que vous soyez en voiture, en camion ou à vélo : un changement de direction imprévu est l’une des causes les plus fréquentes d’accidents graves.

2) SUR PLACE : CE QUE J’AI OBSERVÉ

Mais pour revenir à cette rue en particulier, il y a tout de même un contexte important à remettre en perspective : cet axe est très fréquenté, car il est traversé par de nombreux automobilistes qui l’utilisent pour éviter les grands boulevards ou le périphérique. Malheureusement, les changements récents dans la circulation ont encore accentué l’usage de cet axe.

Un exemple frappant est le nombre de conducteurs venant du rond-point de Gabetta et tournant en direction de la rue de Bagnolet. Ce flux est en partie lié au réaménagement de la rue Belgrand, qui a dévié le trafic vers la rue des Pyrénées et la rue de Bagnolet pour rejoindre Montreuil ou le périphérique.

De plus, le réaménagement d’une partie de la rue de Bagnolet et de tout le quartier a déplacé une partie de la circulation vers la rue des Pyrénées.

Craignant cette situation, plusieurs pétitions avaient déjà alerté sur le plan de circulation. Cela aurait obligé les nombreux camions de livraison à traverser les petites rues du quartier, provoquant pollution, bruit et multiplication des risques et dangers.

Une autre pétition demandait d’apaiser et dépolluer la rue des Pyrénées, un axe long et saturé ou les embouteillages y dégradent également la ponctualité des bus et la sécurité, notamment autour des nombreuses écoles. Malgré son importance, la rue ne dispose d’aucun aménagement cyclable sécurisé.

https://www.google.com/maps/dir/48.8658529,2.3699266/48.8579177,2.4377456/@48.8619055,2.3984047,15.91z/data=!4m2!4m1!3e0?entry=ttu&g_ep=EgoyMDI1MTExNy4wIKXMDSoASAFQAw%3D%3D

https://www.change.org/p/non-au-report-du-trafic-dans-le-quartier-r%C3%A9union-p%C3%A8re-lachaise

https://www.change.org/p/pour-une-rue-des-pyr%C3%A9n%C3%A9es-apais%C3%A9e-moins-pollu%C3%A9e-et-cyclable

https://carte-des-ecoles.respire-asso.org

La montée est dangereuse

En montant vers Gambetta, cette voie est particulièrement incompatible pour les cyclistes. Les bus dépassent très près, même pour s’arrêter juste après un arrêt. Ce jour-là, le dépassement était clairement inutile : après m’avoir doublé, le bus a ensuite dû ralentir derrière moi, alors que s’il m’avait laissé continuer, il aurait pu s’arrêter à son arrêt sans jamais recroiser ma trajectoire.

C’est un problème malheureusement très mal compris par de nombreux conducteurs : la présence d’un cycliste devant eux n’oblige pas à ralentir leur vitesse moyenne, mais le cycliste, lui, doit pouvoir garder sa trajectoire en sécurité. Ici, dépasser un vélo donne une sensation de danger importante.

La descente n’est pas mieux

Dans la descente, le constat est similaire mais inversé : certains cyclistes tentent de remonter sur la droite pour dépasser, une manœuvre très dangereuse, car elle se fait entre des véhicules en stationnement et des véhicules en mouvement. C’est clairement le pire endroit pour dépasser : angle mort, dépassements, risques d’ouverture de portière, piétons qui traversent entre les véhicules… tout se cumule.

Si vous devez dépasser, faites-le toujours par la gauche, sauf s’il existe une bande cyclable dédiée.

Lors du dépassement :

  • avancez lentement, légèrement déporté du véhicule,
  • gardez toujours un œil sur un éventuel piéton qui pourrait traverser,
  • et dès que le trafic se remet en mouvement, réinsérez-vous immédiatement devant le véhicule qui n’a pas encore commencé à bouger.

Le sas vélo… inutilisable

Au niveau de ce carrefour, il y a des sas vélo à chaque feu, mais aucun accès pratique pour les rejoindre. Or, selon les recommandations, lors de la mise en place d’un sas vélo, celui-ci doit être obligatoirement accompagné d’une bande cyclable pour y accéder, sauf exception technique empêchant sa réalisation. Malheureusement, cette exception est devenue la règle — j’en parlais déjà dans ce sujet dédié aux sas vélo.

Comme je l’indiquais plus tôt, cette rue est normalement fermée à la circulation en sens interdit, sauf pour les livraisons et les bus. Malheureusement, cette réglementation est très mal respectée : j’ai pu observer de nombreux conducteurs traverser cette voie juste comme raccourci, et souvent à vitesse importante. Le réaménagement du carrefour n’aide pas non plus : le feu a été recalibré, ce qui permet au conducteur de prendre le virage plus rapidement.

Il reste à comprendre pourquoi le conducteur du camion a dû tourner à cet endroit en particulier, et si la conservation de cet axe à la circulation est réellement indispensable. Ce virage est en effet très dangereux au vu de son agencement. C’est également le seul feu de l’intersection qui n’est pas équipé d’un panonceau M12.

Il est important de noter que sur cette rue, la chaussée a été refaite et le trottoir élargi, réduisant ainsi la largeur de voirie. La mise en place d’une circulation alternée et de voies bus a permis de respecter la loi lors de la réfection de la voirie. Pour les piétons, cette intersection est également loin d’être idéale : un passage piéton se retrouve juste devant un arbre, et le trottoir, même s’il a été élargi par endroits, reste étroit.

Je ne remets pas en cause le fait d’avoir conservé le double sens de circulation sur cette voie, car une voie de bus y passe. Mais laisser cette rue ouverte aux véhicules dans les deux sens, notamment pour les livraisons, reste très discutable — et c’est exactement ce qui a été fatal au cycliste ce jour-là.

https://twitter.com/AlTi5/status/1905191595495829841/video/1


CE QUI AURAIT PU ÉVITER L’ACCIDENT

Comme dans mes précédents sujets, je ne cherche pas à accuser le conducteur ou la victime. Je fais uniquement ici un état des lieux pour comprendre comment éviter ces pièges. Et justement, ici, aurait-il pu y avoir une configuration permettant d’éviter cet accident ?

Non loin, j’ai justement pu observer une rue qui a été transformée : une piste cyclable protégée avec une séparation physique entre les vélos et les véhicules lourds. Il y a également une plateforme déportée pour les passagers de bus, afin d’éviter les conflits avec les conducteurs qui rejoindraient leur arrêt.

Des voies de circulation avec un faible trafic ont été fermées, limitant ainsi les risques de conflit. Les itinéraires cyclables ont été tracés aux intersections avec une ligne effet qui indique clairement au conducteur que, s’il tourne, il franchira une voie de circulation. Il y a même des feux pour vélos avant l’intersection afin d’éviter que les cyclistes se retrouvent dans l’angle mort du conducteur, en plus du panonceau M12 qui encadre le passage.

Autant de détails qui, à chaque fois, limitent les situations conflictuelles. L’objectif est simple : plus on limite les risques de situations conflictuelles, plus on diminue le risque d’accident.

LIVRAISONS

Au-delà de l’aménagement et de ce qui aurait pu être fait pour éviter l’accident, il faut se questionner sur le besoin réel de ce déplacement, même avec ce camion de livraison.

Nous sommes ici dans un cas de figure extrêmement particulier : le livreur était littéralement dans les derniers mètres de sa destination, car un panneau interdit de tourner à droite sauf pour effectuer la livraison. Cela signifie qu’il était obligatoirement arrivé, sinon il n’aurait rien à faire ici. Dès lors, se pose la question : ce camion était-il vraiment indispensable ?

Beaucoup pourraient penser que pour livrer de grosses marchandises, les camions restent indispensables dans les grandes villes. Mais cette vision repose uniquement sur ce que l’on a toujours connu en matière de transport. Dans plusieurs villes européennes, la livraison, surtout pour le dernier kilomètre en milieu urbain extrêmement dense, se fait avec des modes beaucoup plus adaptés : des véhicules plus petits, des solutions rapides, et surtout plus simples pour se faufiler et se garer dans ces espaces étroits.

Si la marchandise est trop volumineuse pour ces modes, elle peut être transportée à des horaires restreints afin d’éviter que cette logique croise la route d’autres usagers vulnérables, comme les écoliers. Cela demande néanmoins une organisation réfléchie, avec une répartition particulière des charges et une planification fine.

Il est également urgent d’équiper correctement ces véhicules, afin de ne plus utiliser l’argument des angles morts et de sécuriser leurs déplacements dans les zones à forte fréquentation. De nombreux systèmes existent : alertes, caméras, freinage d’urgence… Ici, nous sommes face à une économie de bout de chandelle qui coûte chaque année des vies.

Cette question de l’adaptation des véhicules doit se poser : si elle n’est pas envisagée et que l’accès aux gros véhicules n’est jamais remis en question, la transition vers d’autres solutions ne sera jamais pensée. Même si cela peut être perçu comme une contrainte dans un premier temps, à long terme, cela pourrait offrir un gain de temps et d’efficacité pour les entreprises, à l’image de certaines initiatives déjà mises en place à Paris, qui expérimentent des solutions pour la livraison du dernier kilomètre.

UN DRAME QUI NE DOIT PAS SE REPRODUIRE

Au vu de ces éléments, ce drame n’est pas une fatalité. Il ne résulte pas d’un simple “manque de chance”. Ce n’est pas un accident isolé, mais le résultat d’un ensemble de facteurs qui n’ont pas été pris en compte pour éviter cette issue.

L’accès de ces gros camions jusqu’au point d’arrivée, le fait qu’ils ne disposent pas toujours de dispositifs pour éliminer complètement leurs angles morts, le manque d’aménagement sur ces carrefours… tant que les cyclistes devront se mêler aux bus, aux cars et aux camions dans des intersections aussi complexes, des drames comme celui de lundi continueront d’arriver.

Les villes ne sont pas dangereuses par nature. Elles le deviennent quand on oublie de protéger les gens et qu’on y laisse circuler des véhicules inadaptés.

Chaque accident doit être un avertissement, une opportunité de s’éveiller et de chercher à faire mieux, et jamais une simple statistique.